Pourquoi une « moto » avec un coffre et une carrosserie ?

L’intérêt d’un coffre et d’une carrosserie, je pense que je n’ai pas besoin de vous faire un discours pour vous le faire sentir.

La question pourrait plutôt être : mais pourquoi ne met-on pas sur une moto de tels équipements si pratiques ?

La réponse en ce qui concerne le coffre, je ne l’ai pas. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire des motos plus longues avec un coffre derrière, ce n’est pas un problème de charge puisqu’on peut mettre deux personnes sur une moto. L’allongement modifierait assurément le comportement d’une moto de course mais serait sans grandes conséquences pour un usage ordinaire, et sûrement même une amélioration spectaculaire des performances pour un des challenges du quotidien, faire ses courses. Il y a donc moto « de course » et moto « de courses » et il est dommage de calquer l’architecture de la deuxième sur celle de la première.

Par rapport à la carrosserie, la réponse est plus claire : elle s’appelle sensibilité au vent latéral et impossibilité de poser les pieds à terre.

Pour pouvoir poser les pieds à terre il suffit d’ouvrir le dessous de l’enveloppe, la gêne est minime. Par contre, le vent latéral peut dévier un véhicule dont la trajectoire est assujettie à l’équilibre, donc il faut aussi ouvrir les côtés. Il ne reste plus qu’un toit et un pare-brise, donc la protection devient bien symbolique et même gênante car génératrice de remous.

J’ai exploré deux pistes pour pouvoir mettre une carrosserie enveloppante sur un engin qui penche, baisser le véhicule et pouvoir gérer l’équilibre autrement qu’en jouant sur la trajectoire. Les solutions qu’apportent mon tricycle sur ces points sont à ce jour très correctes, la protection pluie est quasi totale et l’engin est maîtrisable malgré des très fortes rafales de vent, le tout testé dans une région où vent et pluie peuvent s’exprimer avec violence.

Pour gérer l’équilibre tout en roulant dans les moments délicats, j’appuie mes pieds sur les bras de suspension (1).

Cette idée n’est ni compliquée ni inédite, la difficulté a plutôt été dans la mise en œuvre : la rendre efficace et ergonomique avec une position assise dans un véhicule plus bas qu’un deux roues classique, restant compact, en gardant de bonnes suspensions, une grande capacité d’inclinaison et qui tourne court. Le tout en étant pas trop lourd mais suffisamment rigide et bien sûr solide.

Donc, mine de rien, cet engin est un deux roues, si ce n’est le premier à ma connaissance, pouvant accepter en toutes conditions une protection enveloppante. Ce qui est d’ailleurs la moindre des choses : c’est bien quand les conditions se gâtent qu’on a besoin d’une protection enveloppante.

Mais alors, si c’est si compliqué de mettre une carrosserie sur une moto, la vraie question est : pourquoi vouloir absolument une « moto » ?i

À ce stade, quelques précisions sur mes écarts de vocabulaire s’imposent.

Un deux roues, c’est par obligation un engin qui peut pencher dans les virages et qui se conduit en utilisant la direction à la fois pour se diriger et pour garder son équilibre. Mon engin répondant à ce principe de fonctionnement, je me permets d’utiliser l’appellation deux roues malgré ses débordements de multi-roues.

Un deux roues avec un moteur, j’appelle ça une moto, même si je sais que cette appellation se « mérite » par un moteur de puissance conséquente. Ce n’est pas le cas de mon engin aujourd’hui ni même mon souhait personnel, la lenteur me convient. J’apparente à la moto mon type de véhicule recherché pour évoquer un véhicule qui ne serait pas une privation de performance par rapport à l’incontournable référence voiture.

Maintenant prenons le problème à la base : les transports motorisés souffrent aujourd’hui d’un cruel manque d’efficience. Pour consommer moins, c’est facile : il faut être plus léger, plus compact, aller moins vite ou avoir un engin profilé comme un poisson. Bref, tout l’inverse d’une voiture.

Léger et compact ? un deux roues le fait très bien.

Ce qui nous amène à l’essentiel, à l’intérêt de cette particularité des deux roues, pouvoir pencher dans les virages.

C’est tout bonnement naturel : un cheval, un humain qui court, un oiseau qui vole penche dans les virages. Concrètement, c’est contrebalancer la force centrifuge en s’aidant du poids du corps ou de celui du véhicule. Sans quoi cette force centrifuge nous enverrait valser à l’extérieur du virage.

Un « quatre roues » ne pouvant pencher, il se protégera de la valse à l’extérieur du virage en étant assez large, pas trop haut ou sinon assez lourd. Pas terrible pour la recherche d’efficience.

Ne pas pencher apporte également un inconfort dans les virages, alors que sur un deux roues les virages deviennent un jeu.

Oui, un véhicule écolo peut rajouter une dimension de plaisir, qui l’eut cru ? raison de plus pour ne pas s’en priver, pour ne pas dire la première raison !

Un véhicule penchant dans les virages est nécessairement étroit, ce qui bannit l’incohérent luxe des deux places de front, rend obligatoire d’être assis l’un derrière l’autre. Tant mieux pour la surface frontale, gage de moindre résistance à l’air. Tant mieux pour minimiser l’encombrement sur les routes.

Un véhicule penchant dans les virages dont l’équilibre doit parfois être assuré avec les pieds ne peut rentrer dans la démesure de poids des voitures, même si certaines motos arrivent à dépasser les trois cents kilos. Tant mieux pour l’efficience.

Et un véhicule plus léger n’est pas nécessairement plus fragile, bien au contraire. Le poids supplémentaire engendre des efforts qui fragilisent et demandent des renforts supplémentaires… qui rajoutent du poids supplémentaire donc demandent aussi des renforts pour supporter les renforts. C’est la spirale infernale du poids.

Vous faut-il plus d’arguments ? Allez, juste un, pour la route. Si j’ose dire.

Si vous mettez des suspensions souples sur un véhicule qui ne penche pas, en vertu de cette force centrifuge qui peut vous envoyer valser à l’extérieur du virage vous allez assurément tanguer. Pour éviter cela on met des « barres anti roulis » qui ont leurs limites et la suspension ferme reste de mise.

Si vous penchez, vous n’avez plus cet inconvénient et vous pouvez garder des suspensions confortables à souhait.

Donc si je résume, pencher c’est :

réduire radicalement la largeur, donc la prise au vent (réduit la consommation), l’encombrement sur les routes et dans les parkings,

gagner du poids (encore la consommation…),

gagner en confort,

gagner du plaisir de conduite.

Sauf que voilà, ça peut tomber. Alors on préfère assurer avec quatre bonnes vieilles roues bien écartées.

Mais quand même maintenant imaginez un véhicule qui serait compact et agile comme une moto, confortable, protégé et fonctionnel comme une voiture et surtout dans lequel on ne s’inquiéterait pas de tomber.

N’aurait-il pas la capacité à nous interroger sur le bien fondé de nos mastodontes à quatre roues ?

(1) Appuyer les pieds sur les bras de suspension, ce n’est pas compatible avec le pédalage. Cette option est donc très peu utilisable dans le cadre légal du « vélo électrique » qui demande d’actionner les pédales pour activer la motorisation au-delà de 6km/h. Ce cadre légal a des contraintes que j’accepte volontiers puisqu’il a la providentielle qualité de me permettre de rouler avec un engin expérimental sans avoir besoin d’homologation. Il est néanmoins peu adapté à mon véhicule et j’espère arriver à une maturité qui me permette d’accéder à une homologation dans une catégorie plus « routière ». Cela m’interdira les pistes cyclables, dommage mais elles non plus ne sont pas particulièrement adaptées à mon véhicule… C’est le gros dilemme de cette mobilité intermédiaire, à la fois plus grosse qu’un vélo et plus lente qu’une voiture. Tout le monde sait que c’est ce vers quoi il faudrait tendre sauf qu’elle n’a sa place nulle part.